On l'admire
Elle est pour certains la raison de tourments qui hantent le reste d’une vie. Pour d’autres, elle est ce prodigieux phare, résilient, qui, à l’épreuve de la vie et souvent dans la brume de notre métamorphose, a su pendant des années être cette fée au cœur doux dont la lumière de ses sorts éclaire notre chemin. Elle a, de part sa fragilité, son ordre et sa beauté, réussi à briser cette femme qu’on vouait à la science culinaire et au plumeau. Elle s’est dégelée pour nous guider dans ce territoire illimité qu’est la vie. Elle a crié parfois, elle a souffert souvent, en silence. Puis elle a pleuré avec nous, pleuré ces larmes invisibles au fond desquelles naissent les diamants. Celles qui nous serraient d’amour quand les récréations sans défenses n’étaient qu’humiliation.
La prunelle de leurs yeux disait-elle. Voilà ce que nous étions pour cette mère. Elle, qui à 1000km de là, naquit sans poupée mais avec une valise d’angoisses. Elle, qui déjà très jeune, décida qu’elle fuirait ceux qui l’empêcheraient d’aimer. Pas facile de faire loyalement son parcours, pas facile de rester cette fille qui aimait rire, jouer et rêver. Pas facile d’être cette artiste refoulée qui s’étouffe dans les mélancolies de ses livres préférés. Pas facile d’être celle dont le lourd poids de ce mot pèsera sur elle pendant des années : assumer. Assumer les enfants, assumer leur éducation et leurs erreurs. Assumer leurs échecs et leurs choix. Assumer le foyer. S’assumer elle, assumer ses décisions pour lesquelles le retour en arrière n’est qu’un inatteignable idylle.
Alors elle gardera tout en elle. Elle n’oubliera jamais ces moments de douleurs, ceux qui se vivent seule dans son lit d’hôpital, un rapport à la main chantant qu’une trompe s’avère presque muette. Puis un autre, qui un jour vous dit, qu’à défaut d’avoir bien couché, ce qui en sort n’est qu’un faux. Alors comment ne pas l’aimer. Elle qui a tant lutté pour qu’une minuscule main agrippe son doigt pour la première fois. Comment ne pas adorer l’existence de cette femme dont l’allégresse envahit le visage quand elle vous voit. Comment douter encore qu’il n’y ait pas plus bel être sur Terre que celle qui vous a mise au monde. On l’admire.