On écrit
Perché dans les hauteurs parisiennes d’un appartement aux cheminées condamnées, il ruminait encore ses pensées. Perturbées par les aboiements d’une voisine en joie et de son nouveau chiot en plein désarroi ; elles fuirent vers l’ennui. Il aurait dû s’arrêter là. Mais ressuscitées par le carillon de Saint-Anne de la Butte-aux-Cailles, elles s’éprirent à apposer quelques mots au rythme d’un cliquetis ; remplissant cette page blanche d’une encre illusoire. Le déversera-t-il jusqu’au bout de sa nuit ? Décrira-t-il les passions qui le grisent ou les pressions qui le tordent ? Devra-t-il cracher un spleen ou embrasser une mélancolie qui troque sa tristesse pour une rêverie souriante ? Il n’écrivait que pour respirer. Rien d’autre.
C’est alors que l’harmonie d’un doux soir d’été autorisa un agréable courant d’air à se balader au milieu de ses pensées. Que raconteraient-elles cette fois-là ? Rien ? Peuvent-elles, le temps d’une soirée, se permettre une impersonnalité volontaire ? Est-il en droit de vanter cet acte comme une poésie moderne ou n’est-ce qu’un lyrisme subjectif ; de surcroît sans modestie ? Alors pourquoi emprisonner ces mots ici ? Pourquoi les condamner ? Pourquoi enchaîner ces lettres entre elles si absolument rien n’est que ce qu’elles osent proférer ? Quel exutoire trouve-t-il dans ces puériles rédactions, bercées par ce fond de piano ; sobre chef d'orchestre d’une cadence maladroitement littéraire ? Suffit-il simplement de faire danser un texte pour qu’il y naisse une âme ? Faut-il l’enivrer de ponctuation, le costumer de métaphores compliquées ou consentir à l’étrangler avant que nul n’en découvre son sens ?
Il n’en savait foutrement rien. Il n’écrivait rien. Il arrêtait de fouiller dans une fontaine de livres à la recherche de la tournure parfaite. Il mettait juste un poing dans chacune de ses phrases. Écrasées, plus jamais elles ne jouiront de la saveur de ce dernier mot plus exubérant que les précédents. Elles agonisaient. Il n’avait rien dit, rien écrit, rien senti. Seul comme un abruti, la mélodie du Temps posait pour lui ces lettres qui l'empêchaient de plonger dans le vertige de son propre cœur ; lui qui lui manifestait sa véritable liberté.