On déconstruit
Le temps se fige sur une soirée d’automne. 30 secondes à peine. 30 secondes suspendues qu’une matière grise entachée de fatigue vient transformer en un vertige presque infini. Déboussolé et désolé à la fois, c’est à un surprenant sens de l’observation que l’on doit cette stimulation soudaine : un énervement d’abord, une impuissance ensuite.
Du fond de l’estomac, une révolte se dessine alors et la haine de l’homme animal dépourvu de sens se mélange avec le dégoût profond qu’inspire ce dégueulasse fanatique. Sauf qu’il est trop tard, il est déjà parti alors qu’il ne s’est même pas enfui. Et il l’a humilié, du regard cette fois-ci. On en pleure de colère, intérieure bien évidemment. On déteste la souffrance que ce démon impose, à nous autres moyens mais à elle surtout, qu’on a apprivoisé docilement au fil du temps, afin qu’elle y fasse abstraction. Face à soi, face à elle et armé de son invincibilité de mâle, il l'a terrassé d’un seul coup d'œil, il a bavé devant la Vénus Callipyge qu’elle est. Qu’aurait-il bien pu faire de plus si ? S’ils se retrouvèrent seuls ? Si la tombée du jour fut plus sombre, si l’avenue fut plus calme ou s’il eût tout simplement envie ?
Se transformer en ce cliché d’immortel guerrier ou en un ridicule justicier de l’instant ne serait que dangereusement bruyant et confus face à cette guerre encore trop silencieuse que les résilientes divinités de ce monde mènent chaque jour. Et c’est en vertu d’une bonne volonté que le courage de ramasser son fusil manque à l’appel. Or il n’est pas seul au sein de son troupeau d’écoeurants mortels. Ils continuent, téméraires et confiants, de détruire les faibles digues que beaucoup se construisent par triste instinct, pour se protéger de ces autocrates du patriarcat.
Alors c’est en face de notre morale que l’on décide ou non de projeter sur l’existence qu’il reste les couleurs de l’optimisme. Car ce n’est hélas ni la violence, ni un ange-gardien, ni une quelconque pitié qui viendra adoucir leurs blessures. Celles-ci sont éternelles. On est coincé. Mais si la liberté de voir, de dire et d’écrire ces maux nous est assurée, alors on peut choisir de vivre toujours. L’espoir, malgré tout cela. On déconstruit.