On commande

Comme ils nous voient, comme ils nous entendent, comme ils nous jugent. Comme ils nous aplatissent, nous distordent ou ne cessent de décoiffer des émotions qui nous appartiennent au profit de cette bienséance qui annihile notre identité. L’altérité n’est pas forcément jolie à regarder mais c’est bien elle qui souvent bâillonne nos cris et nous jette vers un chagrin profond dans lequel on se noie. La grande inspiration de l’air d’une surface retrouvée passera encore par ce pacte avec une solitude qui parfois s'avère salvatrice, parfois culpabilisante, voire même destructrice.

Les Autres nous brisent plus qu’ils ne nous électrisent. L’exaltation d’une sortie mondaine n’est qu’un éphémère adoucisseur de l’authentique personnalité qui se cache tout au fond ; de ces convictions qui s’effacent ou de ses valeurs qui se meurent, seules, comme ce Roi ionescien qui n’est qu’un humain figé face à la mort. Alors comme ce Roi à qui l’on chipe sa couronne le temps d’une révolution, on s’autorise l’audace de s’insurger. On s’indigne contre la mort de notre grandeur. On lutte contre l’inéluctabilité d’une fin de ce moi qui nous caractérise tant et qui fait notre force depuis l’enfance. On laisse le sang se coaguler au niveau du cœur et les éclats de notre esprit exploser au visage de notre reflet. Ils giclent aux multiples figures de ces bas Autres qui adressent les jugements ou interprètent les idées. On adhère de nouveau à ce corps qui nous guide, égérie d’un mouvement qui nous tire vers l’existence. On navigue à travers l’absurdité d’une vie construite sous le prisme de validations émises par ces êtres tous plus aliénés les uns que les autres. On flâne avec le changement. On adopte une légère brutalité qui brise les silences prestigieux de notre âme pour qu’enfin, l’expression de notre être tout entier ne soit plus une honte mais une provocation du bonheur de vivre, avec ou sans les Autres.

Et même si l’on croit sa vie inutile sans celle des Autres, cet effort nous affranchit de méchantes déconvenues car c’est l'insouciance, nouvelle alliée face à l’impérialisme du faire bonne figure, qui vient alléger l’éprouvante peine de ne pas s’imposer face aux Autres. On commande.